"Éloge du présent, un Japon sans détour" par Valérie Douniaux, 2011
Le titre de cette exposition fait référence au célèbre essai "Éloge de l'ombre", publié en 1933 par l'auteur japonais Tanizaki Junichirô. Pas de nostalgie cependant dans cette évocation de la « période japonaise » de Patrick Rimond, une époque qui s'étend de 1997 à 2005. Même si les images datent de quelques années déjà, c'est bien du présent qu' il s'agit ici, du cœur battant d'un pays, loin des clichés qui en donnent le plus souvent une image réductrice et figée.
Nous ne sommes pourtant pas face à une photographie documentaire ou « humaniste » au sens classique du terme. Les quatre séries mêlent portraits et paysages urbains, les deux grands pôles des recherches photographiques de Patrick Rimond. Franches et directes, les images se présentent sans fard au spectateur, prenant le risque de déconcerter celui-ci, plus habitué aux joliesses ou aux artifices décoratifs. Patrick Rimond nous fait redécouvrir le monde qui nous entoure avec un regard neuf, comme lavé des excès esthétisants fréquents de la création photographique contemporaine. Il y a certes un parti-pris visuel dans ces œuvres, mais c'est celui de la simplicité (et non du simplisme, bien au contraire). Bien que prises spontanément, au gré des déambulations de l'artiste dans la ville d'Osaka, les photographies expriment le point de vue d'un œil aiguisé, d'un esprit à l'affut de l'harmonie cachée dans l'apparent chaos urbain japonais. Patrick Rimond dit ne pas préméditer ses photographies, préférant attendre qu'elles arrivent à lui, mais son don inné pour la composition visuelle, pour l'équilibre coloré, lui permettent de capter ce qui resterait inaperçu par d'autres. La rigueur constructive est mise en valeur par une lumière d'une grande pureté, qui donne à chaque image une puissance silencieuse et magnifie des éléments apparemment d'une grande banalité. Patrick Rimond prouve que la beauté peut naître dans les endroits les plus inattendus. Fondant ses œuvres sur des jeux de lignes, des imbrications de plans, sur le surgissement ponctuel de détails incongrus qui rompent l'austérité des compositions, Patrick Rimond élimine volontairement tout aspect « exotique » ou « local » de ses images, où qu'elles soient prises. Il ne retient que l'essentiel, l'essence même de ce qu'il choisit de nous montrer et, par là, il donne une valeur universelle à ses travaux.
Ses vues urbaines sont dénuées de présence humaine, mais une autre partie de l'œuvre de Patrick Rimond se concentre au contraire sur le portrait, le parcours du photographe s'équilibrant ainsi entre deux voies parallèles. Si ses portraits ont la même sobriété que ses paysages, ils n'en sont pas moins empreints d'une grande force expressive. Les modèles acceptent courageusement le pari que leur propose l'artiste, de poser en le regardant droit dans les yeux, de se mettre littéralement à nu devant l'objectif, dans une grande promiscuité avec l'appareil. Ils vivent là une expérience unique, tout comme le spectateur, happé par la force de ces immenses visages qui le fixent sans ciller.
Si Patrick Rimond pousse ses modèles à se délester de leurs filets de sécurité (maquillage, attitude...), il leur montre
cependant toujours un grand respect et ne porte en aucun cas de jugement sur eux. Son but est de faire ressortir la
personnalité profonde de ses modèles, au-delà de leur
appartenance sociale, de leurs caractéristiques nationales... une neutralité volontaire, mais en réalité lourde d'impressions, de sentiments, que le spectateur a d'emblée le réflexe d'interpréter à l'aune de son propre vécu ou de son état d'esprit. Une lecture qui n'intéresse guère
le photographe, désireux de dépasser ce stade pseudo-psychologique ou sociologique. L'important pour lui est la rencontre momentanée entre deux êtres. De manière très japonaise, Patrick Rimond s'intéresse autant au sujet qu'à l'espace entre celui-ci et le photographe/spectateur, un espace d'une vibrante intensité, qui n'est pas forcément séparateur mais peut au contraire se révéler un lien, unissant deux entités auparavant isolées dans leurs univers distincts.
Très rapprochés ou au contraire en pied, les portraits japonais de Patrick Rimond montrent en tous cas les habitants de l'archipel d'une manière peu habituelle : il est rare de voir un Japonais s'asseoir sans façon à terre, un geste banal en Europe mais signe dans l'archipel de liberté d'esprit, voire presque de rébellion contre les conventions. Les regards directs, la tentative de neutralité des expressions, tranchent également avec l'habitude japonaise de poser sourire
aux lèvres et en faisant un V avec les doigts.
Malgré leurs apparentes différences, les paysages et les portraits de Patrick Rimond portent indéniablement la « patte » de l'artiste, ce moyen de dire beaucoup avec peu, ce style fondé justement sur la négation de tout effet de style, ce mélange de puissance et de calme méditatif. Les images de Patrick Rimond ont une élégance légèrement désinvolte, un sérieux qui n'empêche pas un certain sens de l'humour, par exemple dans l'absurdité architecturale d'un immeuble découpé afin de laisser passer une autoroute en son sein. Idée inimaginable en Occident, moins étonnante d'un point de vue japonais, où chaque parcelle de terrain est précieuse, où tout s'imbrique sans plan préconçu, loin de nos raisonnements rigoureusement cartésiens. Sur un autre cliché, ce sont les ruines et la destruction qui semblent s'opposer à l'arrogance triomphante de l'ultra-modernité. Mais l'une pourrait-elle exister sans les autres ? Avec des moyens réduits au minimum, le photographe témoigne du mouvement irrépressible du renouvellement perpétuel, particulièrement sensible au Japon, où un édifice de plus de quinze ans est considéré comme ancien, où les caprices de la terre peuvent tout faire s'écrouler en quelques secondes… La nature et le béton sont également réunis dans les œuvres de Patrick Rimond, pas forcément en termes de confrontation violente, mais plutôt comme une persistance ironique et salutaire de l'instinct de vie dans les constructions géométriques issues de l'esprit humain. Patrick Rimond fait l'apologie subtile de l'imperfection, de l'asymétrie, de la beauté voilée laissée par la patine du temps ; toutes notions également très ancrées dans la pensée japonaise, et qui offrent au monde occidental une relecture inédite et profondément enrichissante de notre époque.