Michael Dumont 2010 /
série Hypnagogies
Galerie KH15 Berlin
Hypnagogies est une série marquante par sa chromatique inhabituelle (ton bleuté brun, profond et nocturne de la radiographie) et par la dissolution de la matière photographiée.
Le surgissement de formes indécises, non référentielles, rapproche cette série des photogrammes (Fox Talbot) ou des rayogrammes (Man Ray) du début du XXe ou bien des expériences visuelles lumineuses de Moholy-Nagi. On peut encore penser à Raymond Hains (série hypnagogique des années 50), mais aussi à la tentation d’une photographie pure (Weston) et plus globalement à la tentation abstraite lyrique qui traverse tout l’art du XXe siècle.
La série se distingue de la production contemporaine dominée par la chronique intime, le réalisme froid ou critique, l’imaginaire post-human et le retour documentaire ou la fiction-documentaire.
Hypnagogies rappelle par ailleurs à quel point la photographie est peut-être bien l’image montrée dans son papier borné et sa surface plane mais qu’elle est aussi le récit sous-jacent de l’expérience dont elle procède et du temps/geste de sa capture.
Les circonstances particulières dans lesquelles Patrick Rimond a vécu puis capturé ces images méritent une évocation : c’est obsédé par un lieu devant lequel son chemin le mène quotidiennement, que l’artiste s’est incliné, penché sur son sujet jusqu’à en extraire cette matière à proprement parler étrange, fantastique ou surréelle qui lui parût enfin en coïncidence avec l’émotion ressentie, ou qui pût même le soulager de l’émotion obsessionnelle et irritante.
On peut parler d’une expérience individuelle intense rattachée à la difficulté de saisir le réel mais aussi de se placer soi-même au cœur de ce réel. Moins que ce à quoi l’on se cogne (Lacan), le réel apparaît enfin comme ce qui n’existe pas sans le regard et dont la notion n’existe pas en dehors de l’esprit humain. Le réel apparaît surtout comme une condition d’épiphanie pour la conscience individuelle et, en cela, suscite infiniment le trouble humain d’être là, et d’y être voyant…
On évoquera rapidement les deux axes précédents du travail de Patrick Rimond :
- les portraits nus, où la présence de l’autre, radical, pur, sans histoire, parfait, est saisie/dessaisie : présence ou abcense ?
- les paysages (absolute landscapes ou projection ou regard sur soi) dont la définition géométrique, la douce absurdité, la vacuité étrange font palper l’ironie : vide ou plein ?
De toute évidence déjà, d’une manière apparemment plus figurative et plus construite mais non moins symbolique, ces travaux relayaient une recherche extrêmement personnelle et cette visée spirituelle : en quoi le regard (et seulement lui) me constitue-t-il ?
Le titre d’Hypnagogies agit comme un révélateur : s’il est suggéré que ce sont là des images jaillies d’entre le rêve et la réalité, jaillies d’une chambre obscure dont on peut dire qu’elle est celle d’un certain éveil, n’est-ce pas que ces images, n’étant que le souvenir de quelque chose (ou mieux : l’entre-vu) sont rien ?
L’intensité que nous trouvons dans l’œuvre de Patrick Rimond joue de cette ambiguïté délirante : affirmation/négation dont la série Hypnagogies est à nos yeux l’accomplissement en un contrepoint et une déliaison signifiante.
Le réel n’est rien, l’image n’est rien, l’autre n’est rien – que l’expérience qu’on en fait, renouvelée et abîmée et à redéfinir en chacune de ces occurrences.
Le réel n’est rien que nos surgissements répétés de conscience dont la photographie (écriture de la lumière) révèle les élans, la structure et la sentimentalité. Dont elle écrit plus qu’elle ne les décrit les empreintes et dont elle laisse une trace tangible.
Nous souhaitons que le spectateur trouve comme nous dans ces images l’occasion de cette lucidité paradoxale : hésitant quant à l’origine, indécis quant à la destination. N’est-ce pas la définition seule et possible et éclairée du vivant ?